ENTRETIEN AVEC JEAN-JACQUES NUSS
: La Prisonnière du
Désert
A l'occasion de notre soirée cinéma "western" du mercredi 3 décembre 2014, nous avons interrogé Jean-Jacques Nuss, geispolsheimois passionné de western depuis sa plus jeune enfance, qui a pu vous présenter et commenter avec vous le film La Prisonnière du Désert. Il nous a parlé de ses recherches, de ses découvertes, de sa grande passion.
Pour commencer, d’où vous vient cette passion pour les westerns ?
J.J Nuss : C’est une longue
histoire, il faut remonter 55 ans en arrière. A l’époque on n’avait pas de TV
chez nous, dans les familles mais il y en avait une au foyer paroissial. On s’y
retrouvait entre gamins, le jeudi où
il n’y avait pas classe. En fin de soirée on allait là-bas et on
regardait Rintintin et Aigle Noir, des séries westerns américaines,
les premières à être adaptées en français. Donc on regardait ça, c’était de
l’aventure ! Pour nous les petits paysans c’était quelque chose de
féérique, de merveilleux. Ce qui m’a plu c’était justement qu'il y avait de l’aventure,
de l’action, des grands espaces, des chevaux, des indiens, enfin tout ça, qu’on
n’avait pas chez nous !
Et après, on transposait ça dans la forêt chez nous : on
jouait aux cowboys et aux indiens, comme beaucoup de gamins encore aujourd’hui !
A l’époque, le dimanche il y
avait deux films, un en fin d’après-midi vers 17h/17h30 et un autre en soirée,
comme actuellement. Et c’étaient souvent deux westerns, le même dimanche. On était dans les années 1960/1965 et c’étaient des films qui sortaient en 1955,
donc qui n’étaient pas vieux. Après les séries, on a donc regardé ces films-là
dont on connait bien les acteurs : John Wayne, James Stewart, tout le
panel des vedettes américaines spécialisées plus ou moins dans le western.
Puis plus tard on regardait ça chez les copains et on a fini par avoir
une TV à la maison et à regarder tout ça. Pas que ça ! Mais c’est quelque
chose qui m’a toujours intéressé.
Il y a une trentaine d’années, je me suis mis à étudier ce domaine de
près. Pas simplement l’histoire, l’intrigue, ce qu’on voyait à l’image mais
aussi quels étaient les thèmes de fond, parce qu’il y a des thèmes de
fond ! Quand on dit « western », on pense « cowboys »,
« indiens », les uns ils crient et les autres ils tirent dessus. Mais
en réalité, dans la plupart des films il n’y a pas que ça et on le verra ce
soir d’ailleurs : il y a des thèmes et des codes sur la construction des
films, également un mythe, plus général et enfin des données historiques qui
ont été transposées dans le domaine fictionnel. Et enfin on est passé de
l’Histoire à la Légende avec des personnages qui ont réellement existé comme
Davy Crockett et d’autres, qui ont été transposés à l’écran de manière romancée.
Et vous avez fait vos recherches
seuls ?
J.J Nuss : Oui, oui, j’étais
seul. J’ai donc lu beaucoup de bouquins là-dessus, j’ai vu beaucoup de films. Au début j’ai acheté des
bouquins puis je me suis servi d’internet. Je dois avoir une cinquantaine de
livres concernant les films, les acteurs, les réalisateurs,…
Et en même temps j’ai commencé une collection. Au début des années 80, j’ai
eu un magnétoscope donc j’ai enregistré des films à la télé, j’en ai acheté quelques uns, si bien qu’aujourd’hui j’en suis à 786 films, dont beaucoup
sont donc enregistrés. Toutes les semaines je consulte les programmes des
chaînes cinéma , je me fais un tableau selon la semaine et j’enregistre. Mais
enfin, je ne fais pas que du western,
j’ai aussi beaucoup de films du cinéma des années 1930/40 et 50 ainsi que du
cinéma d’aujourd’hui. Il y a encore des bons films qui sortent mais c’est très rare.
J’ai actuellement une collection de 2000/2500 films dont les 786 westerns.
Jean-Jacques Nuss, entouré de spectatrices lors de la projection de la Prisonnière du Désert |
Pratiquement tous les jours, je passe 1h ou 2h devant
l’ordinateur, je note tout et je fais des petits fascicules (que personne ne lit
sauf moi mais ce n’est pas grave) ! Je fais donc des analyses, sur les films,
les acteurs principaux, les actrices aussi, les seconds rôles (puisque dans le
cinéma américain les seconds rôles sont extrêmement importants. Dans
certains films ils sont même aussi importants que les premiers rôles et on les
retrouve pratiquement dans tous les domaines du film d’action, que ce soit du
polar, du film noir, d’aventure,….)
Ensuite je me suis intéressé à l’histoire des États-Unis, la Conquête de
l’Ouest, comment tout ça s’est fait et comment le western l’a traduit à
l’écran. Il y a des films complètement fictionnels où l’aventure prévaut sur la
véracité historique mais il y a aussi des films qui retracent fidèlement ce
qu’il s’est passé.
J’ai fait également une étude sur les toutes les séries TV western
américaines : il y en a environ 120 mais seules 20 ont été diffusées en
France. J’ai tout compilé et j’en ai trouvé qui n’ont jamais été passées en
France mais en Allemagne : je les voyais dans le temps à la télé puisqu’on
regardait beaucoup la télé allemande. Donc comme ça j’arrive à trouver des
séries originales qui n’existaient pas en France. Maintenant avec internet,
tout est disponible mais c’est en anglais. J’arrive à comprendre un peu mais ce
n’est pas pareil.
Puis j’ai fait un travail sur les films qui traitaient des guerres
indiennes, puisque pendant très longtemps jusque dans les années 1950, le
cinéma américain a complètement occulté le génocide indien (puisqu’on peut parler
de génocide). Au début des années 1950, des films ont pris le problème à bras le
corps et depuis je m’y intéresse. Il y a toujours quelque chose de
nouveau : des films que j’ai regardé 10 ou 15 fois et la quinzième fois,
je découvre encore quelque chose ! Je suis sûr que ce soir, même si j’ai
déjà vu le film – La Prisonnière du
Désert – au moins douze fois, je vais encore voir des nouvelles choses.
C’est pour
faire partager ces attraits-là que vous choisissez ces films ?
J.J Nuss : Tout ça est
parti d’une idée de Gaël (Doukkali). On en discutait un jour, comme on le fait là. Ca l’intéressait, il connaissait certains
films et il m’a dit : « Tu ne
voudrais pas faire un ciné-club ? ». Je n’avais rien à gagner,
rien à perdre alors je me suis dit : « Pourquoi
pas ! ». J’ai donc choisi les films justement à cause des
thèmes : pas des films trop psychologiques, qui risquent d’être embêtants.
Le premier c’était Le Vent de la
Plaine, sur les guerres indiennes, ensuite il y a eu des films sur la vie de
cowboy puisqu’il y en a qui sont vraiment centrés sur la vie de vacher du
cowboy.
Concernant La Prisonnière du
Désert, j’avais insisté auprès de Gaël, qui le trouvait trop long mais
c’est pour moi le meilleur western qui existe. On s’en rend compte quand on lit
les analyses, les critiques. Et puis c’est quand même du John Ford, comme
réalisateur c’est le summum. Il est considéré comme le maître universel du
western dans le cinéma américain. Le monde de John Ford, on le retrouve dans
beaucoup d’autres films avec des références, des choses récurrentes même si ce
n’est pas tourné de la même façon : des musiques, des danses, un respect
des traditions familiales,…des choses comme ça qui donnent à ces films un
attrait spécial. C’est un irlandais d’origine donc il a ramené ses traditions
ancestrales dans ses films. En bref c’est ce qu’il se fait de mieux. C’est un
très bon film donc ceux qui viendront ne vont pas s’ennuyer !
Aujourd’hui quand on dit "Western", on pense John Wayne, c’est assez
caricatural. Comme quand on dit « Mélo », on pense Jean Gabin, ou
bien quand on dit « Polar », on pense Jean Gabin après-guerre,… Mais
dans La Prisonnière du Désert John Ford utilise John Wayne presque en
contre-emploi : c’est un personnage très ambigu, violent, qui ne correspond
pas aux rôles qu’il a d’habitude. C’est un film beaucoup moins manichéen. Et
puisqu’on parle de ça, c’est ce qui nous a plu à l’époque puisqu’on avait des
valeurs à respecter : la religion, le maître d’école, le maire, des choses
qui se sont perdues aujourd’hui. Le fait que ce soit très manichéen, avec le
bon, le méchant et le méchant qui se fait attaquer à la fin ça correspondait à
nos valeurs éducatives, c’est peut-être aussi ce qui a marché, comme les films
de corsaire ou de capes et d’épées.
Et encore aujourd’hui, je le vois : quand je mets mes petits
enfants devant le Robin des Bois de 1939, qui est pour moi le summum du film
d’aventure, ils sont sckotchés. Et c’est également très manichéen et très
codifié.
Vous préférez donc les westerns
américains classiques ?
J.J Nuss : Oui, je n’aime absolument pas le western italien :
quelque chose me rebute, ce n’est pas naturel. Il y en a des bons, comme les
Sergio Leone mais autrement je n’accroche pas. Donc dans ma collection il n’y a
aucun western italien, sauf les 3 ou 4 Clint Eastwood, Il était une fois dans l’Ouest, mais pas plus.
Je préfère les westerns américains classiques. Mon plus vieux film
date de 1917 : le début du cinéma. C’est un western muet : Le Ranch Diavolo, de John Ford
également. Il a réalisé une dizaine de films muets puis il a laissé tomber
pendant une dizaine d’année pour reprendre en 1939 avec La Chevauchée Fantastique qui est en quelque sorte l’archétype du
western classique, le film qui a donné tous ses codes au genre. Il y a eu
ensuite toute la période après la Seconde Guerre Mondiale puis ça a décliné
dans les années 70. Aujourd’hui ils n’en font pratiquement plus. Le dernier
valable c’était Danse avec les Loups.
La Chevauchée Fantastique de John Ford : LE film qui a donné ses codes au genre, selon J.J Nuss |
J’ai vu que vous aviez également choisis le
film 3h10 pour Yuma. Il y a eu un remake là-dessus.
J.J Nuss : Oui je suis allé
le voir ! Il respecte assez fidèlement l’intrigue de l’original. Après, quand
on n’a jamais vu l’original, c’est un très bon film… Par contre quand on a vu
l’original, il prend une autre esthétique. Déjà moi j’adore le noir et blanc et
au niveau réalisation et décors, c’est tout à fait autre chose. Les remakes en
général n’arrivent pas à la cheville des originaux.
Dernière question, est-ce que
pour vous le western est un style intemporel ?
J.J Nuss : C’est un style
intemporel, sauf que comme je le disais auparavant, dans les années 70 ça a
décliné. On a dit que c’était à cause de la TV puisque la télévision est
arrivées aux USA quelque années avant nous et donc dans les années 1955, il y a
eu ces fameuses séries : les gens retrouvaient dans leur salon la même
chose qu’ils allaient voir au cinéma (pas forcément avec les mêmes acteurs
puisque les acteurs des séries sont souvent les seconds rôles du grand écran,
pour une raison de cachet). Donc c’est ce qui a précipité le déclin du western.
Et puis dans les années 70 ils ont commencé à dévier du mythe et des codes du
classicisme : il y a eu trop de violence, des choses comme ça. Les gens
ont fini par se lasser.
Le western italien n’a pas duré longtemps, il n’a pas réussi à
reprendre le flambeau. Il y a eu des essais dans les années 80 avec notamment
Kevin Costner dans Danse avec Les Loups
qui est excellent puis un deuxième moins connu mais ça n’a pas pris. Il y en a
toujours qui sortent mais ça ne prend plus. C’est peut-être à cause de ce
manque de classicisme que les gens retrouvaient dans les séries : ils
restaient donc à la maison. Les Mystères
de l’Ouest notamment, même si c’était plus de l’espionnage et puis les
fameuses séries « Ranch » comme j’appelle ça : Bonanza, La Grande Vallée, Le Virginien,… qui ont été éditées en France.
Mais au final ça ne s’est pas renouvelé. Le cinéma américain a viré
dans le spectaculaire, dans les effets spéciaux, choses qui ne s’appliquent pas
au western.
Retrouvez Jean-Jacques Nuss le 7 Avril 2015 à l'Espace Malraux lors de notre prochaine projection sur écran géant. Il vous présentera et commentera un autre western : l'Homme qui n'a pas d'Etoile.
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